Par MONTS
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et par VAUX |
Arrivée d'une perturbation par l'ouest Les glaciers reculent La montagne reste belle Les pentes demeurent glissantes Les pierres tombent Les avalanches partent La météo balbutie Les victimes souffrent Les secours s'organisent Les médias condamnent L'audience grimpe Les sondages demandent des comptes Les procureurs se déchaînent Les avocats font du pognon Les assureurs s'enrichissent Les responsables se couvrent La montagne recule |
Lors de la plupart des accidents ou incidents majeurs en montagne, les médias condamnent quasiment systématiquement "l'inconscience" de ceux qui ont pris des risques, même si leur probabilité de réalisation était faible. Ainsi le guide qui conduisait le groupe victime de l'avalanche des Orres, les "naufragés" de la Vanoise bloqués une semaine dans un igloo lors d'une tempête, et les spéléos bloqués une semaine par la montée des eaux dans le gouffre des Vitarelles, ont tour à tour été condamnés, en quelques phrases péremptoires.
"Après la mise en examen du guide, Daniel Forté, et son emprisonnement, les enquêteurs devront déterminer comment des professionnels confirmés ont pu pousser l'inconscience jusqu'à s'aventurer sur un site, au-dessus de la station des Orres, où toutes les conditions d'une avalanche étaient réunies." Paris Match
Certains journalistes claironnent que le public demande des
comptes. Dans leur esprit le public se réduit souvent à une victime effondrée,
à un officiel, ou à un badaud interviewé pour l'occasion à qui on arrache
quelques mots creux. On a parfois recours à des experts à grande bouche comme
la poujadiste de Val Thorens. A la question "trouvez-vous normal que
des inconscients n'écoutent pas notre météo nationale, mettent en danger la
vie de sauveteurs pères de famille, et dépensent vos impôts en frais de secours
? ", la plupart des interviewés répondent non. Dans un tel contexte,
à la question "faut-il les emprisonner tout de suite ?" la plupart
des interviewés répondraient oui. Cette dernière question n'est pas toujours
posée, notamment si les secourus jouent le jeu des journalistes et font de
l'audience, comme ceux des Causses contrairement à ceux de la Vanoise.
Plus grave encore, les procureurs suivent la même voie, comme celui d'Albertville
qui a déclaré à chaud qu'il n'attendait qu'un accident d'un des secouristes
pour coffrer ces inconscients de la Vanoise qui n'avaient pas écouté la météo.
Faux : ils l'avaient écoutée. Elle s'était plantée comme très souvent, comme
lors des inondations qui ont submergé l'Aude et coincé les spéléos. Elle avait
prédit des risques d'avalanches importants avant la catastrophe des Orres,
mais combien de professionnels auraient renoncé à ce parcours principalement
boisé qui semblait peu risqué ? La météo est un art difficile, rendu dangereux
quand on lui prête des certitudes et qui progresse peu si on ne confronte
pas ses prédictions à la réalité. Deux dérives naturelles pour un organisme
d'état sans contrôle.
Entre les incidents de la Vanoise ou des Causses, et le drame des Orres il
existe une différence essentielle. Il y a d'un côté des passionnés de montagne,
plus ou moins conscients des risques de leur activité, et qui se lancent de
leur propre chef dans des pratiques de plus en plus techniques et spectaculaires
(ski alpinisme, ski de pente raide, escalade, cascade de glace, spéléo, canyoning).
Le temps libre augmente, les techniques et le matériel progressent, les connaissances
se diffusent et par conséquent le niveau de pratique monte. D'autre part,
les consommateurs se multiplient. Ils s'adressent à des organismes de vacances
, des stations de ski, des guides, pour acheter du loisir "packagé"
souvent mis en valeur à grand renfort de publicité jouant sur le rêve de glisse
et de fun, en cachant les risques encourus.
Les consommateurs demandent maintenant des comptes quand l'affaire tourne
mal. Il faut évidemment condamner les imprudences meurtrières, mais il ne
faut pas aller trop loin comme nous en prenons le chemin. Certes il y a des
gens qui font prendre des risques aux débutants ou aux sauveteurs en ne prenant
pas les précautions élémentaires. Certes il y a des fous dangereux sur les
pistes de ski. Cela n'est pas une raison pour tomber dans une dérive judiciaire
à l'américaine, avec ouverture de parapluie et sanction systématique, au détriment
des pratiquants responsables. Ce n'est pas non plus une raison pour menoter
et coffrer le guide des Orres comme un tueur à gages et lui infliger un lynchage
médiatique.
Ainsi on voit désormais fleurir des panneaux de dangers d'avalanches et d'interdiction
du hors-piste plantés à poste pour la saison de ski alors que l'absence de
neige fait plutôt craindre les chutes de pierres. On voit également les préfets
et les maires qui interdisent toutes les activités de montagne sur tout leur
territoire, alors que des dangers d'avalanches sont cantonnés à des zones
très restreintes. Les responsables perdent leur crédibilité, et augmentent
ainsi le danger quand il devient réel. Ils sont poussés par la quête du risque
zéro que notre société réclamerait. On attend maintenant la suite logique
avec des lois réduisant la liberté de pratiquer la montagne, avec des pentes
et des parois interdites, avec des grottes murées, avec des policiers sur
les pistes et dans les parcs nationaux comme aux Etats Unis.
C'est insulter les autres que de paraître dédaigner leurs
joies.
Marguerite Yourcenar, Mémoires d'Hadrien
La question n'est pas de débattre de l'utilité sociale des mordus
de montagne. Nous pourrions avoir au rang des avantages la capacité à s'engager,
qui pourrait éventuellement se traduire par une efficacité professionnelle
et sociale accrue, à mettre en regard des coûts importants des secours. Ce
débat serait un peu sordide et vain. La question est plutôt de savoir si on
respecte cette petite communauté.
On met également souvent en avant les risques que prennent les sauveteurs
pour aller chercher les gens qui se sont mis en situation délicate. Ces sauveteurs
font certes un métier difficile, et trop d'entre eux perdent la vie en exercice
(notamment dans des accidents d'hélicoptères), mais c'est un métier ou un
bénévolat que la plupart ont choisi par passion de la montagne, et qu'ils
n'abandonneraient pas pour aller faire la circulation en ville.
Ce débat peut paraître dérisoire, alors qu'au pied des montagnes des gens
meurent toujours de faim et de froid. Il ramène pourtant à une question essentielle
: comment pouvons nous vivre ensemble ? Comment peut-on concilier concrètement
les règles de la vie sociale applicables à tous et les identités culturelles
? La réponse est loin d'être évidente, et les journalistes et les procureurs
devraient prendre davantage de recul avant de clouer au pilori le premier
bouc émissaire venu.
La liberté appartient à ceux qui l'ont conquise.
André Malraux, Discours
Il faut sans cesse dénoncer les mécanismes pervers, le faux et l'injuste.
Il faut s'organiser.
Il faut peser sur les politiciens.
Il faut boycotter les chaînes de télévision et les journaux qui se moquent
du monde, parfois avec notre argent, en vendant du sensationnel arrosé de
larmes. Au hit parade de la médiocrité se détachent TF1,
Antenne 2, et Paris Match.
Nous n'avons pas de trains, ni d'avions à bloquer pour paralyser le pays.
Ceci nous rend infiniment moins forts que d'autres communautés qui imposent
leurs désirs à des politiciens peu courageux. Néanmoins nous avons des réseaux,
des clubs, des écrivains talentueux, des magazines. Il existe même des juges
et des journalistes passionnés de montagne.
Il faut nous mobiliser pour sauvegarder l'accès à la montagne, une des rares
poches de beauté et de liberté dans ce monde pesant.
Adhérez à Mountain
Wilderness France, une association en première ligne dans ce combat
!
Le temps des coupables. Un éditorial du journal Le Point qui dénonce la recherche de coupables à tout prix: "Il faut, enfin et surtout, que la Justice résiste à l'inclination publique d'une société agressive, acide : on y voit trop affleurer de méfiance, de dérision, et parfois de haine."
Les menaces contre la pratique responsable de l'escalade et des activités de montagne. Article de Daniel Taupin (au format PDF). Deux principales façons contradictoires de penser peuvent conduire à des interdictions inappropriées : la protection de la nature et l'idéologie sécuritaire.
Vive le ski hors piste! Coup de gueule de Charles Poncet, avocat à Genève, député au parlement genevois et au Conseil national suisse de 1989 à 1996.
Pour un humanisme montagnard. Extrait d'un texte de Pierre Chapoutot sur la protection de la montagne et le droit au libre accès.
A quelles règles l'alpinisme doit-il pouvoir échapper ? Un débat assez riche extrait du forum du magazine Vertical.
Interdiction du hors piste aux Arcs (versant sud de l'Aiguille Rouge).
Interdiction du hors piste au Pic du Midi. Il parait que les pyrénéens sont conviviaux...
Un exemple de gestion du hors piste intelligente et respectueuse : La Grave
Avalanches des Orres |
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13 Février 98 : Avalanche des Orres: le parquet requiert
le maintien en détention du guide. L'avocat général a requis hier, devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble, le maintien en détention du guide de haute montagne, Daniel Forté, mis en examen pour 'homicides involontaires' après l'avalanche mortelle survenue le 23 janvier près des Orres (Hautes-Alpes). Le magistrat a estimé qu'en l'état actuel de l'enquête la responsabilité du guide apparaissait gravement engagée. 'Il s'agit de fautes très lourdes: non-reconnaissance du terrain, absence de moyens de sauvetage traditionnels (corde, pelle, appareil de détection ARVA)', a-t-il déclaré devant les journalistes, avant d'ajouter que 'les enfants étaient trop nombreux'. La chambre d'accusation, qui s'est réunie à huis clos, a mis son jugement en délibéré au vendredi 13 février. |
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Même le garde des sceaux a été ému par tant de sévérité,
et a cité cet exemple pour justifier le projet de loi sur la protection
des personnes inculpées. |
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Le point de vue de Denis Ducroz , plein
de compassion et de clarté un mois après le drame. |
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Le jugement du 13 Janvier 2000 , heureusement plus mesuré que le réquisitoire du parquet. |
C'est quand même moins bête qu'un panneau de danger d'avalanche permanent (mais surement moins efficace comme parapluie dans un tribunal).