Par MONTS
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et par VAUX |
par Charles Poncet
25 février 1999
Première publication online de cet article sur le site Praetor. Publication initiale dans "Le Nouveau Libéral"
I1 aura suffi de quelques accidents de ski hors piste pour que la machine infernale se mette en marche: la société moderne, engoncée dans le confort, les assurances, la médecine toute puissante et autres menus attraits de la civilisation occidentale, n'admet pas qu'il y ait des accidents dans lesquels des êtres humains perdent la vie. Tout au moins certains accidents: personne ne s'émeut guère que la route tue en Suisse, chaque année, l'équivalent d'un bataillon d'infanterie. Mais qu'un événement inattendu survienne et la réaction est immédiate: un déferlement médiatique, qui reflète lui-même la surprise du public et l'annonce de mesures par l'État, en général inutiles, mais toujours assassines pour les libertés.
Le ski hors piste est dangereux pour ceux qui le pratiquent de façon téméraire? Il produit des accidents mortels à l'occasion? Voici que le chœur des vierges entonne le péan de l'intervention étatique pour en limiter les risques: que l'État l'interdise carrément - comme l'a fait tel préfet français plus occupé à la protection de son séant administratif qu'à celle des libertés - ou tout au moins, Grand Dieu, qu'il en réglemente les "excès", sans doute par un système de panneaux fichés sur les sommets, avec des hélicoptères en patrouille et des caméras de surveillance sous les sapins, accompagnés de guides en uniforme dressant procès-verbaux, le tout financé par un impôt sur la vente des snowboards, ou mieux encore, qu'on institue un permis obligatoire pour skier hors piste, délivré après deux stages de quatre semaines à Macolin, comprenant entre autres des cours de chimie de la particule neigeuse et un séminaire de sensibilisation, insistant sur l'analogie fâcheuse entre le goût du risque et la pulsion sexuelle masculine.
Toute personne chérissant sa liberté doit se révolter contre la société de couilles molles qu'on est en train de nous fabriquer. Prendre des risques pour le plaisir d'avoir peur, mettre sa vie sur le ballant si on le souhaite, sont des aspects essentiel de la liberté individuelle. Nous avons le droit inaliénable d'être téméraires sans que l'État s'en mêle. S'il me plaît d'acquérir à l'encan un matériel de plongée sous-marine en mauvais état pour descendre à quatre-vingt mètres dans les eaux noires et glaciales du Léman sans moniteur ni cours Migros sur les effets de l'azote en profondeur, j'en ai le droit absolu et tant pis pour moi si je me noie.
La montagne tue? Elle ne tue que ceux qui veulent bien y aller et ça les regarde. La société n'a pas vocation à imposer la prudence aux citoyens dans leur loisirs. Par une politique d'information libérale et grâce à l'appui d'une presse fibre, que chacun sache sans doute qu'il vaut mieux apprendre les techniques de l'escalade avant de se lancer à l'assaut des Dolomites en solo, mais au nom de quoi l'État se mêlerait-t-il de protéger les citoyens contre eux-mêmes?
Ce paternalisme odieux reflète en réalité l'érosion regrettable de la vision libérale de l'être humain: homo sapiens l'homme qui sait - titulaire de droits fondamentaux et présumé capable de se débrouiller tout seul, de décider ce qui est bon pour lui, sans qu'une nounou bureaucratique le fasse à sa place. Certes, cette définition repose en partie sur une fiction: il est des gens capables d'analyser ou de raisonner et d'autres qui le sont moins. Mais elle est le corollaire indispensable de l'égalité. Nous devons avoir tous les mêmes droits, puisque nous sommes égaux: il ne saurait y avoir une liberté pour les gens intelligents et une autre pour les cons. A vouloir dorloter ceux-là au nom de leurs limites réelles ou supposées, on érode la liberté de tous jusqu'à en faire une peau de chagrin.
Patelin ou pervers, l'État nounou et liberticide se justifie par un autre sophisme: l'individu n'aurait "pas le droit" de s'exposer à des risques qui entraînent des coûts à charge de la collectivité. Telle fut ainsi la "justification" de la ceinture de sécurité obligatoire: à s'exposer aux accidents graves sans ceinture nous serions tous coupables du crime d'augmentation des frais médicaux de la société. Qu'une imbécillité de ce genre ait pu convaincre une majorité de Suisses montre bien dans quels abîmes nous sommes descendus en termes de libertés.
Il est temps de se réveiller: symbole éternel de liberté, la montagne est le domaine public par excellence. Les citoyens y ont accès sans restrictions autres que celles qu'ils s'imposent à eux-mêmes: remonter un couloir neigeux à deux heures de l'après-midi en plein soleil expose l'alpiniste à des chutes de pierres mortelles. Qu'il le sache, mais s'il veut y aller, c'est son problème. Déclencher une avalanche par témérité est un crime, qui doit être sanctionné s'il cause des victimes, mais on ne saurait le prévenir par un régime d'autorisations ou en fliquant les Alpes. Le risque, y compris celui qui naît des actes d'autrui, est inséparable de la liberté: une vie totalement protégée n'a aucun sens car n'en déplaise à la libido réglementaire et tatillonne des Orwell de sous-préfecture, l'être humain aime prendre des risques et mesurer sa force à celle de la nature.
Consciemment ou non, le skieur hors piste exprime à sa manière cette revendication fondamentale de liberté: sortir des sentiers battus, foncer au péril de sa vie dans un couloir vierge de toutes traces, être le premier à y passer et s'en réjouir à la sortie avec le frisson de qui sait avoir pris un risque, voilà qui distingue l'individu libre du troupeau des assurés, des fichés, des enrégimentés de la sécurité sociale et des retraités de la vie digne d'être vécue que nous devenons petit à petit à force de conformisme, de règlements et de précautions imposées par des cervelles perverses s'arrogeant le droit de penser à notre place.
A l'image des libertaires d'antan, que les surfeurs de l'an deux mille continuent donc de dévaler librement les pentes neigeuses au cri de "mort aux vaches, mort aux lois, vive l'anarchie!". Et le ski hors piste.