Par MONTS
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et par VAUX |
Quelques souvenirs des courses de l'été 1986. La plupart sont des grandes classiques du massif des Ecrins:
Pour certains d'entre nous qui sortons de l'école, ce
séjour constitue l'un des derniers arrêts avant l'autoroute de la vie active,
l'occasion de prendre un bon bol d'air et de liberté avant d'enfiler l'uniforme
militaire ou l'habit de cadre dynamique. Pour Bruno, le benjamin qui doit
avoir 17 ou 18 ans, c'est l'occasion de découvrir ces sommets du Sud qu'il
ne connaît pas, et peut être de renforcer sa vocation de coureur de montagnes
à temps plein.
Comme il est bon de se retrouver à La Bérarde, dans cet air clair et vif,
au cur du massif, dominés par tous ces sommets prometteurs d'aventures!
Nous installons les tentes dans une clairière près du Vénéon, un vrai torrent
glaciaire, blanc et très froid.
Camp à La Bérarde
Je venais assez souvent ici, adolescent. Nous étions en vacances
dans une maison familiale de Vénosc, plus bas dans la vallée. Les fils
du patron étaient guides ou aspirants guides et initiaient les touristes à
la haute montagne. Nous sommes venus plusieurs étés et je garde
de ces séjours un souvenir un peu mitigé, un petit goût amer. Subjugué par
les montagnes, ému par la beauté des faces, des arêtes et des glaciers, j'avais
une envie folle de gravir tous les sommets et je connaissais par cur
les Cent Plus Belles Courses de Gaston Rébuffat. Je passais du V sup. Le VI,
"limite des possibilités humaines", n'existait pas à l'Ecole
de Venosc. J'avais le pied assez sûr et une grosse motivation. Cependant pour
le patron de la maison familiale il n'était pas question de faire de la haute
montagne avec des ados. C'était la vieille école où le touriste ignorant doit
tout attendre du guide infaillible, sans chercher à comprendre. L'époque
des collectives encordés à la taille sur les glaciers crevassés. Les
seuls sommets que j'ai pu me mettre sous la dent étaient des talus d'à peine
3000 m dominant le lac de La Muzelle: la Tête de la Muraillette, l'Aiguille
de Vénosc, le Petit Roux ! J'ai dû parcourir la voie normale de la Muraillette
cinq ou six fois, car il y avait une ascension collective programmée chaque
semaine. Mon père avait tenté de m'emmener dans une petite voie rocheuse
à la Muraillette avec un guide. Le temps était un peu incertain le matin,
et le guide avait préféré partir seul avec mon père sans me réveiller. J'avais
tellement la hargne que j'ai descendu les 1200 m de dénivellation du chemin
de La Muzelle en 40 ou 50 minutes, pour essayer de battre le record personnel
de ce goujat (quand même bien sympathique)! Bref la maison familiale
m'avait presque dégoûté de l'alpinisme et par réaction je me suis lancé
à fond dans la spéléo car je suis tombé sur des adultes remarquables
qui faisaient confiance aux jeunes.
Ici à la Bérarde j'ai donc une sorte de revanche à prendre, une grosse faim
de sommets à assouvir! Mais il nous faut d'abord nous entraîner un peu car
même si les rochers de Fontainebleau nous ont assouplis, le souffle
manque. En guise de mise en jambes, et avant l'arrivée de Bruno, nous enchaînons
deux courses faciles au départ du refuge du Chatelleret.
Pic Nord des Cavales, voie normale
3364 m, PD+, Refuge du Chatelleret
C'est une course de rocher fort sympathique que mon père avait faite pendant
que je randonnais envieux... Après le couloir de neige du col du Clot
des Cavales, l'escalade commence par une petite dalle, puis il faut suivre
l'arête. Eblouis par les traditions nous grimpons en grosses chaussures
alors que les chaussons auraient été plus agréables.
Le groupe se retrouve au sommet, et tout le monde est ravi. Magnifique vue
sur la face sud de la Meije, toute proche. Voilà une belle entrée en matière.
Pic Nord des Cavales : la voie normale emprunte l'arête sud entre ombre et
soleil, à gauche.
On aperçoit le Grand Pic de la Meije dans le fond.
Arrivée au sommet du Pic Nord des Cavales
Rateau sommet Est, voie normale
3809 m, F, Refuge du Chatelleret
Belle ambiance à partir de la brêche du Rateau sur une petite arête
rocheuse puis neigeuse. La Meije se dresse juste en face, à portée
de main. On distingue facilement l'itinéraire de la voie normale.
Rateau sommet Est, Brêche de la Meije et Grand Pic.
Aiguille Dibona, voie des Savoyards
3130 m, TD, Refuge du Soreiller
Bruno me traîne dans cette belle voie qui a fait parler d'elle car elle comporte
le premier passage de 6 ouvert en altitude en Oisans. Cette traversée est
effectivement assez fine, et j'aurais bien aimé voir Pierre Chapoutot la faire
en grosses chaussures en 1967, lors de la première. Nous prenons un tel plaisir
à grimper sur ces dalles de granite superbe que nous posons un ou deux rappels,
pour faire d'autres longueurs. Comme la fissure Madier est occupée, nous empruntons
la Coupé : je trouve le toit assez sévère. Les cannelures Stofer sont magnifiques.
Au sommet nous retrouvons les autres qui ont gravi la Boël-Berthet.
Les Bans, pilier Nord Est
3670 m, D, Refuge de la Pilatte
Pour être les premiers dans la voie, et envoyer des pierres plutôt que
les recevoir, nos voisins de dortoir précèdent le réveil officiel, sautent
dans leur baudrier, engloutissent leur petit déj et partent en courant.
Cela change de l'ambiance fraternelle de la spéléo ! Malheureusement pour
eux, nous sommes piqués au vif, et mieux entraînés. Belle course dans un beau
cadre, même si le rocher n'est pas toujours solide.
Le pilier nord est des Bans domine le glacier de la Pilatte.
Séance de pose aux Bans!
Pendant ce temps Yves et Tarzan sont juste en face, dans la traversée de la Barre des Ecrins, au départ du refuge de Temple Ecrins. Ils en bavent car l'itinéraire n'est pas facile à trouver.
Barre des Ecrins, itinéraire Coolidge
4102 m, PD, La Bérarde - Col des Ecrins
Nous avons envie d'en découdre et nous partons de la Bérarde vers 2h du matin,
en direction du col des Ecrins. Nous rejoignons la foule qui vient du refuge
Caron. Bruno souhaite s'isoler un peu et me traîne dans le mixte de l'itinéraire
Coolidge, droit sous le sommet. A la descente, notre corde "à foin"
de 25 m est un peu courte, et le rappel de Christophe et Franck nous épargne
une désescalade un peu acrobatique. Comme quoi la théorie "du tout léger"
chère à Bruno a ses limites. Cela fait une belle journée (2400
m de dénivellation à la montée et à la descente)!
En montant au Rateau. De gauche à droite : Tour Choisy, Pic Bourcet, Barre
des Ecrins, Ailefroide, Les Bans
La Meije, traversée
3983 m, D, Refuge du Promontoire
Bruno presse le pas dans le couloir Duhamel pour s'extraire de la foule. Du
coup nous savourons seuls les passages historiques qui s'enchaînent comme
dans un film : Muraille Castelneau, Cheval Rouge, etc. Nous attendons Yves
et Tarzan au sommet pendant deux heures. Ils étaient bloqués par un père et
son fils qui se traînaient et s'engueulaient... Ces deux là se trompent dans
le rappel du Grand Pic pour rejoindre la brêche Zsigmondi. Ils commencent
à pitonner la face sud, et nous leur lançons une corde pour qu'ils remontent.
La traversée des arrêtes est magnifique bien que les pentes de neige soient
un peu aériennes à mon goût. Après un long rappel avec nos deux cordes depuis
le Doigt de Dieu, nous atteignons le refuge de l'Aigle dans la plénitude du
soir. Le lendemain nous rejoignons la Bérarde en descendant le couloir un
peu pourri du Serret du Savon, puis un longeant l'impressionnante face Nord
de la Meije, avant de rejoindre la Brêche par un glacier bien crevassé, puis
La Bérarde. Nous sommes parfaitement heureux d'avoir gravi la montagne la
plus mythique du massif.
La Meije vue de la montée au Rateau. La traversée part de l'éperon
le plus bas, emprunte le long couloir sombre
(couloir Duhamel), le mur raide (muraille Castelneau), le glacier Carré, avant
de déboucher au Grand Pic.
Il faut ensuite passer par les différentes dents avant de terminer au Doigt
de Dieu (à droite)
En haut du glacier Carré il ne reste plus qu'à gravir le plan incliné pour
atteindre le Grand Pic, au dessus de nous.
L'arrivée au sommet du Grand Pic, où l'on domine les 1000 m de la
face Nord.
Sommet du Grand Pic de La Meije
Les arêtes de la Meije aboutissent au Doigt de Dieu
Doigt de Dieu, Pavé, Pic Gaspard. Dans le fond, les Agneaux et la Calotte.
La face Nord de la Meije : le Grand Pic au centre, les arêtes à
gauche
Dans les séracs du glacier de la Meije, juste sous la face Nord
Après un petit entracte à Annecy, j'attaque une deuxième quinzaine de vacances avec Jean-Marie, Miyo, Olivier, ainsi que Tarzan et Bruno qui rempilent.
Aiguille de Sialouze, face Est
3576m, TD+, Refuge du Pelvoux
Jean-Marie, Miyo, Olivier et Tarzan sont tentés par la traversée des
arêtes de Sialouze. Bruno repère une voie en face Est dans le guide Artaud
amené par Olivier, la petite bible entoilée que seuls les alpinistes sérieux
possèdent ! La pluie matinale s'interrompt, les nuages se dissipent. Nous
attendons un moment que la paroi sèche : le miracle se réalise et c'est parti
pour 200 m d'escalade. Le début est un peu pêteux mais les dernières longueurs
sont magnifiques, bien verticales sur du bon rocher. Nous laissons tomber
une pierre qui atteint nos sacs, au pied de la voie, sans toucher la paroi.
Nous rejoignons les copains au sommet.
Face est de l'Aiguille de Sialouze, la voie monte droit sous le sommet
au centre
Calotte de glace des Agneaux et Sommet Est
3662 m, AD, Refuge de l'Alpe du Villar d'Arène
Je m'encorde avec Tarzan, Jean-Marie avec Olivier. Pour moi c'est la première
course de neige sérieuse. Bruno se ballade décontracté en solo entre nos deux
cordées pour nous montrer comment poser des broches à glace. Les autres réalisent
que c'est un mutant !
Arrivés à la Calotte nous décidons de poursuivre jusqu'au sommet : l'Agneau
Noir. Il faut remonter une petite face dont la rimaye fait la gueule. Heureusement,
nous avons notre joker Bruno. La vue du sommet est magnifique, et la descente
jusqu'à Monêtier bien longue.
La Calotte des Agneaux et l'Agneau Noir
Dans la Calotte des Agneaux
Vers le sommet de la Calotte
Le Glacier Blanc et la Barre des Ecrins, point culminant du massif,
à droite, vus du sommet des Agneaux
Le Glacier Noir et ses grandes faces nord. Bruno reviendra y faire
un tour avec Patrick Bérhault en février 98 pour enchaîner,
dans l'ordre de gauche à droite, le Pelvoux, le Pic Sans Nom, le Pic du Coup
de Sabre, et l'Ailefroide par la face nord ouest (cachée),
c.f. magazine Vertical d'avril 98, "Deux hommes et
un coup fin".
Pic Nord des Cavales, face Sud, voie du Génépy
3364 m, TD, Refuge du Pavé
Nous revenons sur cette montagne, pour faire une voie dans la face sud aux
dalles accueillantes (c.f. photo ci-dessus qui montre la face sud, et la ligne
à l'aplomb du sommet).
La première Longueur de la voie du Génépy
Maître Jean-Marie en action.
L'arrivée au sommet
Pointe Thorant, voie des Plaques Rouges
3584 m, D+, Refuge de la Selle
A cette époque je grimpe rarement en tête et me contente de suivre Bruno.
Il est tellement à l'aise que c'est un plaisir d'être en second. Et
puis, durant ces vacances j'ai avant tout envie de parcourir les faces de
l'Oisans, pas forcément de les gravir en tête. Il me reste peut être également
des séquelles de la maison familiale de Venosc: "laissez faire ceux qui
savent". Je sais aussi que la haute montagne tolère mal les approximations
et que ma mère se fait du souci pour moi.
Mais ici, à la pointe Thorant, Bruno me pousse pour que
je me lance en tête et nous faisons la voie en réversible. Je passe
pour la première fois du 5 en tête en montagne et éprouve la joie intense
du premier. En m'encordant en position de leader, en faisant le noeud au milieu
de la corde, j'ai en quelque sorte coupé le cordon ombilical, franchi
les murs invisibles de la maison familiale. Je serai plus à l'aise ultérieurement
avec ma panoplie de coinceurs en tous genres importés des Etats Unis et un
peu de pratique !
Tête de la Maye, face Sud
2516m, La Bérarde
Cette petite face qui domine le camping nous tend les bras. Nous partons avec
Bruno pour tenter d'ouvrir une voie, munis de notre tamponnoir de spéléo
et de nos spits. J'ai également quelques clous tout neufs achetés spécialement
pour ce séjour. Sur place, nous tombons sur une ligne de spits, en plein milieu
de la face, que nous suivons jusqu'au sommet. Adieu la première ! En fait
il y avait beaucoup d'autres possibilités et l'endroit est maintenant truffé
de voies.
Grand Pic de la Meije, face Sud directe
3983m, TD, Refuge du Promontoire
Nous décidons de clore le séjour en beauté, par une grande voie. Ce sera la
Meije, par la face sud. Rébuffat l'introduit ainsi dans les Cent plus Belles
Courses: "Toutes les conditions sont remplies pour faire de cette course
l'une des plus belles qui puissent exister, non seulement dans ce massif mais
dans toutes les Alpes. Il y a le nom d'une montagne légendaire, la beauté
de la haute muraille qui domine le vallon des Etançons, l'esthétique du tracé
de l'itinéraire qui aboutit à la longue crête gravée dans le ciel et dans
cette course si caractéristique de l'Oisans où l'ambiance prime toujours sur
la technique, on ressent encore l'élégance de l'escalade elle-même, des mouvements
d'équilibre et des enchaînements. Enfin, arrivé au sommet du Grand Pic, on
peut continuer par la traversée des arêtes ! Une course de rêve. Un seul ennui
: elle est encombrée de pitons, non seulement dans la voie, mais également
à côté, car beaucoup de grimpeurs insuffisamment compétents ou préparés s'y
engagent, hésitent, se trompent et pitonnent... Avant d'aborder cette course
il ne faut pas oublier que c'est une difficile escalade libre, qu'elle se
déroule sur une paroi raide, vaste, que le mauvais temps peut mettre les grimpeurs
dans une situation très dure et dangereuse, et que d'abord il ne faut s'y
engager qu'avec droiture et élégance, à la mesure de la paroi elle-même et
dans la tradition des premiers ascensionnistes qui n'utilisèrent que trois
pitons sur tout le parcours. Il vaut mieux attendre quelques années plutôt
que de courir un risque stupide ou, presque pire, de gravir cette paroi d'une
façon besogneuse."
Bon, vous êtes sûrs qu'on y va?
Face Sud de la Meije. La voie Allain-Leininger démarre vers le petit
couloir à l'ombre à l'aplomb du glacier Carré,
remonte le fauteuil en diagonale ascendante à droite jusqu'à un névé, puis
monte directement au sommet du Grand Pic.
La montée au refuge du Promontoire permet de scruter la grande
face de 800 m au pied de laquelle je me sens tout petit. Le lendemain nous
partons un peu avant le jour, vers 6h. Après un rappel nous nous retrouvons
en crampons sur le glacier à la recherche du couloir d'attaque dans la pénombre.
Bruno a bien envie de faire la course en réversible à nouveau. Je me
lance donc en tête dans ce que nous croyons être la deuxième longueur mais
je me fais vite une petite frayeur: il n'y a pas un clou, j'ai froid aux doigts
et je me demande ce que je fous là. C'est fini pour le réversible. Au dessus
du fauteuil, Bruno se trompe et doit se lancer dans une traversée un peu acrobatique,
il n'est pourtant pas un modèle d'incompétence. Je m'imagine à sa place, ce
qui renforce ma conviction de ne pas avoir vraiment le niveau pour la voie,
et m'incite à me cantonner au rôle de suiveur. Pendant ce temps Jean-Marie
et Olivier nous dépassent. Nous resterons ensemble pendant toute l'ascension.
Il y a une grande ambiance dans cette face, c'est magnifique mais nous avons
peu de temps pour contempler le paysage, d'autant plus que des nuages arrivent
au loin. Nous ne sommes pas dérangés par les pitons malgré les dires de Rébuffat
! L'approche du but me donne des ailes et je refais quelques longueurs faciles
en tête. Je débouche ainsi seul au sommet, euphorique : le temps de la maison
familiale est bien révolu. Cependant nous ne sommes pas encore rentrés car
il faut redescendre au Promontoire. Après la désescalade du Grand Pic, Bruno
juge que la neige un peu molle du glacier Carré tient bon et nous attaquons
la descente droit dans la pente. Nous attendons Jean-Marie et Olivier pendant
longtemps au sommet des rappels, car ils préfèrent s'assurer sur les bords
du glacier. Nous attaquons les rappels à la frontale pour arriver au refuge
vers 22h.
Le lendemain, nous descendons sous la pluie, alors qu'il neige probablement
au sommet. Ma veste Cardis est transpercée, et j'imagine les rappels dans
la tempête si les nuages étaient arrivés quelques heures plus tôt. L'été est
fini, l'Ecole est finie, nous allons nous disperser vers d'autres horizons.
Les vacances ont été très riches en émotions, et elles ont sûrement renforcé
nos caractères et nos amitiés.
Je suis bien content de revoir Tarzan et Miyo au camping, et eux aussi. Ils
commençaient à se demander ce que nous faisions !
Dans une semaine je pars pour Pittsburgh pour une autre sorte d'aventure.
Je serai bien loin des belles montagnes dauphinoises, mais je penserai à elles
et aux copains, c'est sûr.
François, Octobre 1999
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