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A Ski sur les Glaciers Valaisans (1/2)

Vent du sud et poudre à canon

Avril 2000



Le Valais est un terrain de jeu merveilleux pour le ski de randonnée car il offre de grands glaciers peu inclinés ornés de magnifiques sommets, comme le Cervin, le Mont Rose et la Dent Blanche qui ont fait rêver des générations d'alpinistes.

Nous avions terminé en beauté un séjour à Zermatt en hiver 1990, sur les pentes du Mont Rose. Quel plaisir de pouvoir se promener relativement facilement skis aux pieds à plus de 4000 m d'altitude! Le massif du Mont Blanc présente moins de possibilités de ce genre.

La douceur et la beauté du relief valaisan sont à l'origine du succès du raid qui permet de rejoindre Zermatt en une semaine à partir de Chamonix. Ce parcours est devenu un classique très fréquenté à la haute saison de ski, d'avril à mai. Nous en avions emprunté une partie en été 1992, en marchant d'Arolla a Zermatt pour initier gentiment Marianne à la haute montagne. J'avais alors noté qu'il est plus agréable et plus rapide de parcourir ces grands glaciers à ski qu'à pied. D'autant plus que les sommets sont plus spectaculaires en hiver, mis en valeur par la neige immaculée.

Un autre attrait du Valais est la météo, en général plus clémente que pour le voisin de l'ouest (le massif du Mont Blanc) et celui du nord (l'Oberland Bernois), sauf par vent du sud…

Ces considérations, mêlées à des rêves de panoramas entrevus, me poussent à appeler Jean-Marie.

F: Que dirais tu d'un raid d'une semaine en ski de rando dans le Valais début avril ?

JM: Euh, pourquoi pas, mais on ne va quand même pas faire QUE du ski ? Il faudrait en profiter pour faire des sommets.

F: Moi cela me plait la rando. Et puis je ne suis pas du tout en condition pour bourriner, je n'ai pas grimpé depuis deux ans.

JM: Bon je réfléchis et je te rappelle.

Pour Jean-Marie côtoyer de belles montagnes sans tenter de les gravir est une faute de goût, un signe de décrépitude, voire un sacrilège. Il disparaît donc quelques jours dans sa montagne de topos et me rappelle avec un programme bien ambitieux pour ma modeste condition physique :

F: impossible pour moi, je n'ai aucun entraînement!

JM: tu en baveras un peu au début mais cela devrait passer ! Je réserve les refuges.

F: bon, on improvisera sur place.

L'objectif est un peu ambigu à mes yeux mais je connais Jean-Marie depuis longtemps et j'imagine qu'il saura s'adapter en cas de bielle coulée. Il a pourtant l'air particulièrement déterminé à faire chauffer le moteur et mon manque de rodage risque de le décevoir. Après une nouvelle discussion nous maintenons l'ambiguïté.

J'embrasse Marianne et les enfants et me voilà parti pour une première nuit de rêve (départ Toulouse 18h, arrivée Grenoble 23h, bouclage des sacs 1h, départ Grenoble 6h, arrivée Arolla 10h).

J1 : Arolla (2000 m) - Cabane de Bertol (3311 m)

A Arolla nous sommes plongés dans les grandes manoeuvres de la Patrouille des Glaciers, dans une ambiance Apocalypse Now. Cette course de ski de randonnée entre Zermatt et Verbier voit s'affronter chaque année des militaires suisses, italiens, allemands et français et des compétiteurs civils. Un ballet d'hélicoptères militaires descend des tonnes de matériel, nuisant un peu à la poésie des lieux.

La météo n'est pas terrible, nous sommes dans un régime général de sud. Nous partons sous une pluie fine qui se transforme en neige en montant.


Départ dans une ambiance de Bretagne nord

Quand Jean-Marie a glissé le topo de montagne dans son sac en négligeant le topo de ski, j'ai su que j'allais perdre des kilos. Les sacs sont lourds avec une semaine de vivres et tout le matériel de montagne dont nous sommes affublés tel Tartarin de Tarascon (deux piolets chacun, broches, coinceurs, dégaines, corde de rappel). Peut être 18 kg? Comme il n'était pas question de m'encombrer des 1,5 kg de mon appareil photo réflex, je dois me contenter d'un compact léger et médiocre car mon Minox est encore en panne.

Jean-Marie est en grande forme. Il revient tout juste du couloir Gravelotte à la Meije. Je m'échine derrière lui en soufflant de plus en plus fort et arrive cassé à la cabane.

La Cabane de Bertol s'atteint par des échelles un peu vertigineuses

Au sommet des échelles l'accueil est glacial. Les gardiens sont fatigués par une nuit blanche due au défilé de la Patrouille. Un groupe d'américains, mené par un guide suisse de Chamonix à Zermatt, semble en meilleurs termes, peut être par solidarité entre professionnels qui "exploitent" la même région. Pour ne pas déranger nous proposons de manger nos provisions plutôt que de prendre un repas. On nous ordonne alors d'aller dîner au col, en bas des échelles, dans le vent et les flocons. Nous exécutons l'ordre méchant sans sourciller, dans la tradition militaire qui semble vouloir marquer cette journée, en espérant des soirées plus agréables dans les refuges non gardés qui nous attendent.

J2 : Aiguille de la Tsa (3668 m) - Cabane de la Dent Blanche (3507 m)

Ce matin il fait beau, le vent a balayé les nuages et les tensions de la veille. Une belle journée s'annonce, la Dent Blanche semble nous accueillir dans son royaume.

La Dent Blanche au petit matin

Montée à l'aiguille de la Tsa, au fond à droite

Jean-Marie avait suggéré une courte escalade à l'aiguille de la Tsa pour me mettre dans le bain. La première côte est assez raide. Mon compagnon la négocie vacillant sur ses skis équipés de couteaux à neige, tandis que je monte en crampons pour ne pas jouer avec mon équilibre. Nous effectuons une belle traversée ascendante vierge de toutes traces pour rejoindre la base de l'aiguille. L'escalade est agréable, sur du bon rocher. Au sommet d'une grande dalle nous basculons au-dessus des abîmes de la face dominant Arolla, dans une belle ambiance. Un dièdre un peu viril en crampons nous mène au sommet. Nous descendons en rappel pour chausser les skis et rejoindre la Cabane de Bertol. Conclusion de la matinée: on peut se faire plaisir avec les conditions du moment, sur un objectif modeste !

Quelques longueurs d'escalade sympathiques mènent au sommet

De gauche à droite: Weisshorn (4505m), Grand Cormier (3961m), Zinalrothorn (4221m), Dent Blanche (4356 m)

Un fort vent en provenance d'Italie se lève dans l'après midi pendant que nous montons à la Cabane de la Dent Blanche. Il y a deux semaines deux randonneurs qui s'entraînaient pour la Patrouille sont morts à cet endroit dans une tempête de sud, dans deux groupes différents. D'après un reportage sur le drame vu à la télévision, ils avaient tardé à creuser un trou dans la neige en espérant trouver la Cabane de Bertol. Quelle tristesse.

Le Cervin émerge derrière le Col d'Hérens

Cabane de la Dent Blanche

La petite cabane est très bien équipée, bien rangée et bien propre, et respecte ainsi l'agréable tradition suisse. Nous sommes heureux d'être seuls. La nuit est fraîche malgré les sept couvertures qui nous plaquent au matelas.

J3 : Cabane de la Dent Blanche - Reconnaissance

Mauvais temps. Il neige, nous nous recouchons.

Dans l'après midi le temps s'améliore nettement et nous décidons de monter un peu sur l'arête sud de la Dent Blanche, la voie normale, pour prendre l'air, reconnaître les lieux et faire la trace.

L'arête sud de la Dent Blanche

J4 : Tentative - Cabane de la Dent Blanche

Ce matin le ciel est dégagé, le vent d'ouest semble reprendre le dessus. Nous suivons les traces de la veille pour rejoindre la base du Grand Gendarme.

Dent d'Hérens (4171m), Tête de Valpeline (3802m), Tête Blanche (3724m).
Un vue à 180°, au format Quicktime VR, est accessible depuis la page panoramas.



Mont Rose (4634m), Lyskamm (4527m), Breithorn (4164 m) et Cervin (4478m), de gauche à droite.


L'arête de neige mène au Grand Gendarme qui se contourne par la gauche.

La pente se redresse sérieusement et les piolets raclent le rocher sous la neige peu épaisse et sans consistance. L'ambiance est un peu sévère à mon goût mais Jean-Marie à l'air de dominer parfaitement son sujet.

Jean-Marie fait râcler ses piolets contre le rocher sous la neige peu épaisse

Plus haut sur le fil de l'arête Jean-Marie hésite sur la pointe de ses crampons puis désescalade doucement quelques mètres raides où il s'était engagé. C'est mauvais signe. Il essaye à droite mais se trouve coincé au-dessus d'un grand vide. Il revient à mon niveau et attaque une grande traversée à gauche dans la vertigineuse face sud ouest. Après 50 m à l'horizontale il me crie de le rejoindre. Son idée est de contourner les gendarmes en remontant les grandes pentes qui nous dominent. La neige est toujours aussi bonne. Je lui fais remarquer qu'il pourrait essayer de poser des points d'assurance. Il me rétorque qu'il me suffit de me tenir debout, droit sur mes pieds, et que la pose de coinceurs fait perdre un temps précieux ! Il a un peu raison, mais je n'y peux rien si mon manque d'acclimatation me rend mal à l'aise, selon un phénomène parfaitement connu mais pas forcément maîtrisable, comme le voile noir des pilotes de voltige ! Le soleil commence à frapper le sommet des grandes pentes et Jean-Marie pense qu'il est préférable de rebrousser chemin car le terrain va devenir instable en se réchauffant. Déçus d'être privés du sommet proche, nous voilà donc repartis à l'horizontale, puis à la verticale vers le bas, en rappel, en utilisant deux des tiges métalliques posées par les guides pour sécuriser l'ascension du couloir du Grand Gendarme en été. Nous profitons une nouvelle fois de la vue magnifique que procure le parcours de l'arête.

Arrivée à la Cabane de la Dent Blanche

Arrivé au refuge un peu fatigué nerveusement par toutes ces émotions sur neige instable, je n'ai pas trop envie de chausser les skis pour rejoindre la Cabane du Mountet ou de celle de Schönbiel. J'espère que Jean-Marie ne m'en tiendra pas rigueur.

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