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Pour un humanisme montagnard

extrait du livre "La montagne c'est pointu" de Pierre Chapoutot.

Maintenant que le thème de la protection de la montagne a quitté le territoire de l'adolescence, il m'apparaît qu'il est devenu indispensable de clarifier les notions, tant il est vrai qu'un même concept peut dissimuler des montagnes de contradictions et d'ambiguïtés. Le temps est donc venu de reposer les termes du débat : protéger la montagne, mais contre quoi (ou contre qui ?), et pour quoi ? Quand je me suis engagé dans la bagarre, il y a vingt ans, il était fortement question à Val d'Isère de dynamiter le sommet de la Tsanteleina pour y installer une hélisurface, et j'avais pu entendre Robert Blanc (le "créateur" de la station des Arcs) prophétiser que la totalité des sommets skiables des Alpes seraient à brève échéance reliés les uns aux autres par des chaînes de remontées mécaniques. C'est contre cela que mon sang avait tourné, et on conviendra que les termes du débat étaient clairs: protéger la montagne, c'était revendiquer le respect du paysage, et le droit pour tout un chacun à un accès libre et gratuit à la montagne.

Aujourd'hui, ce sont des sujets de préoccupation qui ne sont nullement caducs, loin de là, mais d'autres sont venus s'y superposer, qui mettent en cause précisément ce droit à la liberté d'accès. Dans les Parcs nationaux, c'est l'interdiction de parapente et la quasi proscription du vélo tout-terrain. En Allemagne, on voit interdire la pratique de l'escalade sur un très grand nombre de falaises, sous prétexte de défense de la faune ou de la flore, et d'aucuns rêvent de voir ce type de réglementation étendu à la totalité du territoire européen. En Oisans, a vu le jour une "convention-escalade" dont les attendus sont, historiquement et culturellement, consternants, et dont l'objectif avoué est de soumettre l'alpinisme d'exploration à un contrôle strict.

Ainsi, on en est parfois venu à mettre sur le même plan l'hélicoptère et le parapente, le 4x4 et le VTT, le téléphérique et le piton à expansion, en vertu d'une vision littéralement totalitaire des problèmes posés par la gestion de l'espace. Qu'il existe des conflits territoriaux (entre alpinistes "traditionnels" et "modernes", ou entre skieurs-randonneurs et adeptes de la raquette, par exemple) est une évidence. Qu'il puisse y avoir concurrence entre un rapace et un falaisiste en est une autre. Mais, outre le fait qu'un rapace puisse prendre plaisir à suivre les évolutions d'un grimpeur, le problème de la gêne engendrée par le problème de la couvaison peut se résoudre par le bon sens (s'abstenir de fréquenter tel lieu pendant telle période critique), mieux que par des méthodes policières ! Tout le problème est de savoir si , oui ou non, on veut faire confiance à l'homme.

Il existe deux approches de l'écologie. Il en est une qui dérive de la philosophie malthusienne, qui consiste à poser par principe qu'il y a toujours trop d'hommes sur la terre, et que l'intervention de l'homme dans la nature est forcément source de catastrophes. D'où ces idées toutes faites qu'on brandit comme des slogans, comme celles de la "surpopulation" ou de la "surfréquentation". Allons donc ! Il est d'ailleurs intéressant d'observer que ceux qui prônent ces théories considèrent toujours que les humains excédentaires sont les autres... Que ne donnent-ils pas l'exemple en s'immolant les premiers ? Cet écolo-pessimisme débouche obligatoirement sur l'idée de la contrainte et de la sélection. Or, le fait est que ce courant s'est peu à peu constitué en une force qui, si elle est numériquement très faible, n'en est pas moins politiquement influente, surtout en ces temps où des majorités aléatoires ne se bouclent que par le racolage de groupuscules périphériques... De plus, à l'instar des adeptes des sectes, ses zélotes ont su exercé une influence disproportionnée à leur représentativité réelle, en vertu de leur obstination et de leur dévouement à "la cause": à la limite, pendant que le grimpeur batifole sur les parois, l'écolo gère les affaires de son club, et pousse à l'interdiction de l'escalade ! Dans les institutions européennes, l'activisme des "Verts" obtient des résultats inespérés: on en arrive au point où l'on peut voir l'Union Internationale des Associations d'Alpinisme (U.I.A.A) se gratter la tête pour savoir si elle ne va pas consentir à des mesures visant à interdire l'alpinisme ici ou là !

On a compris que ce courant anti-humaniste ne saurait être le mien. Je ne me suis pas bagarré autrefois contre les bétonneurs et les déménageurs du territoire pour livrer maintenant les clés du paradis aux écolo-réactionnaires, aux fascistes verdâtres et aux zoocrates enragés. La protection de la montagne doit avoir lieu, certes, pour les beaux yeux des aigles, des ours, des lynx ou même des baleines, mais aussi et en priorité pour les hommes, à commencer ceux qui y habitent, et bien sûr tous ceux dont elle habite les songes. Cela reste, comme il y a vingt ans, un problème éminemment politique, mais recoupé désormais par un débat culturel dont les frontières se sont déplacées, car ce n'est plus seulement le face à face entre les vilains bétonneurs et les doux protecteurs de l'environnement: c'est aussi, entre ceux-ci, l'opposition entre les humanistes et les totalitaires. Et c'est seulement d'une réflexion sur le culturel que pourra venir la réponse à la seule interrogation qui vaille: "Quelle montagne voulons-nous donc ?"

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