Par MONTS
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et par VAUX |
Juillet 1989
Lundi 10 Juillet : Bianta - Bivouac 1
Nous partons à 8h, un peu tard. Les porteurs râlent car aujourd'hui ils estiment
leurs charges trop lourdes. Mauvaise nuit ? Nous apercevons l'impressionnante
face nord d'un des Latok, dominant un petit glacier affluent du Biafo. Après
avoir dépassé une belle aiguille rocheuse, sorte de Dibona, le glacier devient
plus crevassé. Il fait très chaud et la neige fond. Nous nous encordons et
sommes surpris de voir que Moueen ne sait pas faire son noeud. Tremblant de
trouille, il parcourt quelques centaines de mètres en tête dans un champ de
crevasses. Finalement Bruno prend le contrôle des opérations, échange sa place
sur la corde avec Moueen, et nous fait marcher jusqu'à la lassitude pour poser
notre bivouac vers 4400m. Les porteurs construisent rapidement des murets
protecteurs avec des pierres jonchant le glacier. Le paysage et le temps sont
toujours fantastiques : c'est inespéré. Pourvu que le temps tienne car nous
pensons faire encore une étape avant le col.
Nous décidons de renvoyer deux porteurs à Askhole. La négociation
salariale est difficile mais Moueen la considère comme normale et garde son
calme. Nous faisons savoir aux autres porteurs que nous les payerons avec
le même salaire journalier et que si cela ne leur convient pas il faut qu'ils
renoncent maintenant. Ils acceptent sans broncher. La petite tension est sûrement
due à la rencontre de trois porteurs des Australiens pendant la journée. Ils
avaient été mieux payés. Ce n'est pas facile d'expliquer à ces pauvres gens
que nous ne sommes pas si riches, couverts de matériel de montagne performant.
Le contraste entre les teintes vives de nos vêtements en Goretex et le brun
pâle de la sobre étoffe Balti illustre le fossé qui nous sépare.
Mardi 11 Juillet : Bivouac 1 - Bivouac 2
Il fait un peu frais le matin. Nous marchons à travers un coin de l'immense
lac de neige du Biafo, dont le diamètre doit approcher les 20 km, pour nous
arrêter vers 4700m au pied de la montée au col d'Hispar. Les conditions sont
parfaites. Belle vue sur le Bianta Brakk. Nous tendons une bâche sur 4 batons
de ski pour nous protéger du soleil. Une avalanche descend de la grande face
nord située derrière nous, couverte d'ice flutes très exotiques. Il serait
bien de gravir un sommet dominant le col demain matin, mais vu d'ici cela
n'a pas l'air évident. Il y a deux sommets grimpables par des arêtes de neige
assez raides au nord du lac de neige. Il doit falloir marcher 15 km à plat
pour les atteindre. On se sent loin de tout ici.
Nous campons au pied du col d'Hispar, un peu au dessus du lac de neige.
Mercredi 12 Juillet : Passage du col d'Hispar
Réveil à 1h30. C'est un grand jour, et j'ai la pêche. Toute l'équipe semble
motivée. La nuit a été très dure pour les porteurs qui ont dormi assis les
uns contre les autres dans un trou creusé dans la neige recouvert de la bâche.
Le guide, le cuistot et l'aide ont dormi dans notre troisième tente, la canadienne
2 places. Le chapati du matin est un peu sec. Finalement nous partons vers
3h30. Les porteurs entonnent ensemble un chant émouvant, probablement religieux,
qui me fait penser au Haka qui motive les All Black.
Nous arrivons au col après 2 h de montée assez raide. Mon altimètre indique
5080 m, mais la mesure est douteuse car je n'ai pas pu l'étalonner depuis
longtemps. Deux australiens campent ici. Ils ont gravi hier le sommet situé
au Nord qui doit faire 5900 m, par sa face neigeuse raide en 12 longueurs
et sont redescendus par l'arête. Ils ont eu bien soif et ont du attendre le
soir, pour que la neige regèle, avant d'attaquer la descente.
Nous sommes bien contents d'être là et faisons quelques photos de groupe.
Le soleil nous réchauffe. Les porteurs veulent descendre au plus vite pour
éviter la neige molle. Nous devons décider vite de la suite du programme.
Camper au col et nous séparer des porteurs ? Tenter un sommet plus tard sur
les rives du glacier d'Hispar ? Le sommet des australiens n'est pas très joli.
Le sommet au sud est plus beau : les 400 premiers mètres sont raides et sont
suivis par une arête moins inclinée qui me tente. Bruno et Luc sont intéressés
par un autre sommet rive gauche qui est joli mais assez exposé et technique.
Antoine, Manu, Dom et moi n'avons pas envie de nous lancer la dedans. Cela
fait 30 mn que nous discutons, les porteurs attendent, nous avons l'esprit
un peu embrumé par le réveil matinal, et finalement nous redescendons. Rétrospectivement
nous aurions dû être plus énergiques et au moins gravir le sommet des australiens,
dont la montée nous aurait donné une belle vue sur le K2 à partir de 200 m
au-dessus du col, d'après ce que nous avons appris plus tard.
Col d'Hispar (5150 m) : pourquoi ne pas tenter un sommet à partir
d'ici ?
Mohamed Abbas qui semble connaître le parcours, contrairement à Moueen, nous fait descendre rive gauche du glacier d'Hispar entre de grosses crevasses et sous des faces aux séracs menaçants. Les porteurs s'arrêtent pour se reposer et se fichent de nos remarques concernant l'exposition. Le soleil tape fort, et la neige devient très molle. Nous sortons du glacier pour atteindre une moraine où nous mangeons quelques chapatis et un fromage en boite réparateur qu'avait acheté Moueen. Après 1h d'arrêt nous repartons en enfonçant parfois jusqu'au genou, jusqu'à un endroit idyllique, rive droite, où nous posons le camp à 16h. Il y a un peu d'herbe et nous dominons le glacier avec une vue de choix sur les élégantes sentinelles de la rive gauche. Nous avons l'impression d'avoir passé le plus beau. Manu et Dom ne sont plus motivés pour un sommet et reprennent la belote. Bruno bouille. J'aimerais bien le suivre sur un sommet facile pour qu'il ne soit pas déçu, pour la vue et pour voir mon comportement en altitude.
Le col d'Hispar
Ice Flutes
Jeudi 13 Juillet : Hougar Shilegching - Jutmau
Longue marche sur des pierriers avant la traversée de l'affluent de Jutmau
qui s'avère pénible. Nous approchons d'un sommet grimpable, en rive gauche,
qui fait peut être 6000 m. Les porteurs aperçoivent un ibex. Nous passons
devant des faces immenses. Après une assez longue étape nous arrivons dans
un joli camping qui nous offre son gazon, sa source et ses petites fleurs,
le tout à 4300 m.
Il faut nous décider pour le sommet. Manu choisit de redescendre avec Dom.
Nous préparons 5 jours de nourriture lyophilisée pour 4. Je donne du collyre
à un porteur qui a mal aux yeux, sûrement à cause des mauvaises lunettes de
glacier achetées à Rawalpindi que nous avons distribuées aux porteurs.
Vendredi 14 Juillet : Jutmau - Chakambaris
Petite étape pour nous rapprocher du sommet qui nous tente et nous reposer.
Ici, nous ne nous sentons pas très concernés par le bicentenaire de la révolution
française.
Le petit sommet que nous avons choisi. Nous pensions remonter l'éperon
rocheux (partant de la droite), camper sur le plat et puis terminer par l'arête
sommitale entre ombre et soleil. Les grandes pentes cachées par l'éperon se
sont avérées plus faciles.
L'événement de la journée est la paye des porteurs. Après 45
mn de discussions nous nous accordons sur 20 étapes à 90 Roupies, 12 jours
de nourriture personnelle à 20 Roupies, le bus Nagar -Skardu à 100 Roupies
et une prime de 210 Roupies, soit un total de 2350 Roupies par personne. Ils
font un peu la tête car d'autres payent mieux d'après Moueen. Nous leur donnons
le reste des cigarettes, et ils partent quasiment sans un geste. Un porteur
fait un signe de la main au groupe. Ces relations employeurs - employés sont
un peu dures à mon goût. Je me rassure en considérant que le chauffeur qui
nous a amenés de Skardu gagne 3000 Roupies par mois. C 'est un bon salaire
paraît-il.
S'engage un débat sur notre organisation et notre logistique. Je considère
que cela c'est bien passé et que nous avons eu beaucoup de chance, mais tout
le monde n'est pas de cet avis. Pour faire mieux il faudrait pouvoir fixer
les conditions d'avance avec les porteurs, mais cela a été impossible avec
notre guide. Par exemple nous pensions que les porteurs amèneraient 4 jours
de nourriture personnelle, alors qu'ils en ont amené 8. Nous avons donc un
peu trop à manger, et donc trop de porteurs. Le retour jusqu'à Nagar compte
6 étapes officielles que nous avons payées plein tarif alors que Moueen prétendait
les payer demi tarif. Il prédit 3-4 jours de marche pour nous, et un jour
et une nuit pour les porteurs.
Je trouve cette discussion dérisoire car il était clair dès le début que nous
devions payer 20 étapes, et le surplus de nourriture aurait été bien apprécié
en cas de mauvais temps. Nous aurions pu aussi avoir une grève en voulant
pinailler. Nous avons rencontré un couple de néo-zélandais que les porteurs
ont laissé tombé au milieu du Biafo après une chute de neige : ils ont du
faire des portages à deux jusqu'à Namla et ont perdu de la nourriture à cause
des ours.
La belote reprend. Pour la première fois depuis Askhole le temps se dégrade.
Des nuages montent de la vallée. Il pleuvote légèrement en soirée et nos chances
de sommet s'amenuisent.
Le temps se dégrade