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Traversée des glaciers de Biafo et Hispar (4/4)

Karakoram, Pakistan

Juillet 1989


Samedi 15 Juillet : Approche du sommet

Le temps est gris, les sommets sont invisibles. Nous discutons en prenant le petit déjeuner sous la bâche plastique. Luc et Antoine décident de redescendre et Bruno s'étonne qu'ils ne tentent pas leur chance avec nous. Le cook cache l'excédent de vivres et de kérosène sous un gros bloc.

Nous préparons notre nourriture : 4 jours pour le sommet et 4 jours pour la descente. Le départ est un peu émouvant. Nous embrassons le cook, l'aide et Moueen. Luc prend ma mesure en mimant le pompe funèbre de Lucky Luke. Je ne trouve pas cela très drôle. Quelques minutes plus tard je me retrouve seul avec Bruno, nos affaires éparpillées sur la pelouse. Soudain débouchent les 4 Australiens et les 2 Néo-Zélandais. " Good luck, we hope the weather 'll clear " seront les dernières paroles extérieures.



Mohamed Abbas nous prépare des chapatis épais pour l'ascension, et les cuit sur de la bouse de yack

Il se met à pleuvoir alors que nous entamons la traversée du glacier d'Hispar, dont nous atteignons la rive opposée après 3h de marche. Après une heure supplémentaire, nous plantons la tente vers 4200 m sur des cailloux au pied de l'éperon central. Il se met à neiger alors que nous mangeons dans la tente et notre moral baisse un peu. Notre consolation est de pouvoir tester les lyophilisés aux étiquettes tentantes après tous les chapatis que nous avons ingurgités. Une éclaircie survient dans la soirée, et nous voyons qu'il est préférable de remonter les grandes pentes à l'ouest plutôt que l'éperon. Nous y croyons de nouveau et préparons les sacs. Bruno est partisan d'une montée d'une traite, en partant très légers, pour essayer de passer dans la journée. Il me convainc que porter la tente ne serait pas marrant. Je décide d'amener un duvet et un matelas mousse si je devais l'attendre, car je connais le gaillard.


Il neige, le moral baisse


Avec l'éclaircie l'espoir renaît



Dimanche 16 Juillet : Tentative sur le sommet inconnu

Quelle déception quand j'ouvre la tente à 1h30 après le bip bip de ma montre : les nuages ont envahi le ciel alors que la soirée avait été belle. Il reste quelques étoiles, et nous décidons de nous recoucher 1 h. Finalement à 3h la situation s'est légèrement améliorée et sous l'influence de Bruno, on tente le coup, " pour voir ". Il gèle mais la neige porte à peine autour de la tente. Nous faisons la trace jusqu'à mi mollet dans les grandes pentes. La vue sur le Disthegilsar est magnifique. Nous louvoyons entre de grosses crevasses et des séracs. Il y a des endroits ou la pente se redresse un peu, vers 50 °. Nous alternons la trace. Quand nous arrivons sur l'arête, le sommet n'est plus visible car les nuages se sont épaissis. Je reprends la trace le souffle court. Il neige depuis 30 mn. Comme nous enfonçons jusqu'au genou nous faisons une petite pause. On ne devrait pas être trop loin. Il neige de plus en plus, et nos traces se recouvrent. Soudain Bruno dit " je ne vois plus rien, je ne sais pas si on est sur le fil de l'arête ". Nous voyons un instant la bande de glace qui marque le milieu de l'arête, puis qui disparaît. C'est fini, il faut renoncer, c'est dommage.

La neige couvre nos traces, nous devons descendre

Nous descendons rapidement les 1100 m qui nous séparent de la tente. Comme je botte beaucoup, malgré les anti-bottes posés sur les crampons, les pentes raides sont un peu délicates à négocier. Nous en descendons quelques unes sur le cul. D'après Bruno, Lorethan a fait pareil à l'Everest. Nous arrivons à la tente après 2h de descente, fatigués mais pas cassés. Comme le sommet est toujours dans les nuages, nous n'avons pas de regrets.

Après 2 plats lyophilisés et 2h de repos, nous traversons le glacier. Un petit rayon de soleil nous accueille au camp vers 18h30.

Lundi 17 Juillet : Chakambaris - Betenmal

Journée à oublier. Nous partons à 10h sous un petit crachin avec des sacs très lourds. 30 kg ?
Nous galèrons pour trouver notre chemin dans les moraines et traverser un glacier affluent tourmenté. Les traces sont difficiles à voir. Bruno reconnaît parfois les semelles de l'aide. Il y a quelques caïrns.

Nous nous arrêtons sous un gros bloc pour bivouaquer. Des Yacks viennent nous rendre visite. Ils sont bien vifs et soufflent fort.

Mardi 18 Juillet : Betenmal - Hispar

Nous croisons deux gars de Hispar qui montent chercher les provisions cachées par le cook. Rien ne se perd dans le pays. Peut être avaient-ils aussi la consigne de jeter un œil de l'autre côté du glacier en direction de notre sommet ? Ce n'est pas sûr car ici la vie humaine ne vaut pas grand chose, et les motivations des occidentaux doivent sembler étranges.

La végétation égaye un peu le paysage malgré le temps médiocre. Nous devons passer au pied de beaux sommets.

Quand nous arrivons en face du village d'Hispar, des gamins du village viennent nous accueillir et nous aident à traverser le torrent sur un câble. Ils nous guident pour nous faire éviter le village et nous interdisent de photographier. Cela ressemble à Askhole. Nous nous retrouvons au camping officiel ou nous rencontrons 3 anglais avec leurs porteurs. Ils sont partis 2 jours avant nous de Skardu et ont campé au snow lake. Leur guide fait le cuisinier. Ils payent pour 27 étapes.


Des enfants d'Hispar viennent nous aider à traverser



Mardi 19 Juillet : Hispar - Nagar

Nous partons à 7h pour une journée qui s'avère bien longue. Les gorges de la rivière Hispar sont complètement désertiques. Le chemin est un peu exposé aux chutes de pierres au début. Il y a peu d'eau et nous séchons. Après 9h de marche dans ces gorges, Nagar apparaît comme un petit paradis verdoyant. Nous retrouvons Mohamed Abbas qui nous apporte du thé, puis le dîner. Il est vraiment sympa, et je lui écris une lettre de recommandation pour l'aider à retrouver du boulot. Le coucher de soleil sur le Spantik est magnifique. Nous arrangeons avec les anglais une jeep pour le lendemain.

Après l'étape de la soif, Nagar apparaît comme un petit paradis verdoyant

Le Spantik (7027 m). L'ascension du Golden Pillar, dont le sommet est visible ici, fut un exploit extraordinaire. Les anglais Victor Saunders et Mick Fowler en sont venu à bout en 1987, après 6 jours d'ascension sans retour possible.

Victor Saunders, Elusive Summits.

The Pillar was clearly enormous, perhaps 7000 feet from glacier to top, and also clearly very steep. There were menacing looking séracs along its top edge. If we could not climb Bojohaghur, surely we had no business on this thing. Two factors kept alive our enthusiasm for the project. First of all, we were firmly assured that the Pillar was made of perfect granite. So much for geologists. Second, from the safety of the Globe, and well filled pint glasses, all things always seemed possible.
"It's no harder than the Walker, just look at the angle on this photograph..."
"Nother pint, Victor?"
...
The really chilling thought, though, was the knowledge that this was an irreversible section. No safe pegs equals no abseil. In bad weather we could not climb down. We might not be able to even in good weather.
It was twilight when Mick's voice drifted over the mist. I followed his pitch as quickly as I could, taking out the loose pegs with a finger through the eye. Dusk falls quickly in these latitudes. I reached the stance in the dark. "What's the chance of a bivi, Mick?"
"Zero. We could try cutting a ledge here." There were perhaps four inches of ice stuck on the rock.
"But it's useless."
"There is nothing else."
"What's the belay?"
"It's a good nut."
"Just one?"
"Nothing else."
We got the tent out and hung it like a big bag. Getting inside was not easy. We took turns at looking on while the other slowly bundled his things in. We were cold, tired and tense. Both our headtorches failed at the same time. Soon it began snowing and the spindrift poured down the huge walls above in waves, engulfing our microcosm.



Jeudi 20 Juillet : Nagar - Karimabad

Nous ne voyons pas Abbas qui devait nous apporter le petit déjeuner. Je laisse la lettre et des roupies pour lui. La jeep fait un long détour car un pont est abîmé.

A Karimabad il y a une belle vue sur le Rakaposhi, le Diran et le pic d'Ultar. Nous visitons le fort Baltit, en rasant les murs car il fait très chaud. Je suis en short, comme en montagne, et un vieil homme me fait remarquer qu'il est "impossible to wander around like that". La douche, la première depuis longtemps, est exquise. Nous avons rejoint la KKH et nous trouvons qu'il y a pas mal de touristes. Il y a même des boutiques de souvenirs. C'est bien la fin de l'aventure.

Retour à la civilisation

Le Fort Baltit domine Karimabad depuis 700 ans

Baltit Fort, the ancient guard of Hunza
from Baltit Heritage Trust page

Baltit, now known as Karimabad is a town of 5000 inhabitants, situated in Hunza, one of the high valleys in the North of Pakistan. Hunza was a self-governed feudal kingdom ruled by the Mirs until 1974 when it became a part of Pakistan's Northern Areas. This change in status took place simultaneously with the initial construction of the Karakoram Highway. The new road (known as the Silk Route) built with the Chinese aid, follow much of the ancient route between China and Central Asia. The people of Hunza had controlled and levied taxes upon this route for centuries. The main settlement grew around Baltit Fort which commands this section of the Khunjerab Pass.

Baltit Fort stands guard over the quaint town of Karimabad, and the spectacular Hunza valley - nestled between some of the world's highest mountain peaks in the north of Pakistan. Dominated by the majestic Ultar glacier and surrounded by the magnificent view of the Karakoram ranges and the unspoiled beauty of the entire valley, Baltit Fort is a truly unique part of Pakistan's architectural heritage.

Baltit Fort is commonly known as "Baltit Thamo Thaan". In Burusaski (Burushaski) language, a king or ruler is called "Tham" and the palace where the king resides is called "Thaan" , thus the name "Baltit Thamo Thaan". Built 700 years ago, the history of the Fort is not precisely known. It was only at the turn of century that the occupying British forces compiled written descriptions. According to a local legend about its origins (confirmed by recent carbon testing), the Fort became part of a royal dowry when a princess of Baltistan married the reigning prince of Hunza. Since then it remained the residence of the Mirs of Hunza. The numerous small principalities in the region were notorious for their age-old tribal rivalries and conflicts, and Baltit Fort was undoubtedly first built to protect the villagers and their livestock in times of siege.



Vendredi 21 Juillet : Karimabad - Gilgit

A la descente du bus j'appelle Manu pour le rassurer sur notre sort, comme convenu. Comme il n'y a pas de places d'avion, nous rentrerons en bus deluxe à 135 roupies par personne. Moueen n'est pas chez lui, et son associé nous reçoit et nous envoie dans son hotel, le Riverside Lodge qui est plutôt sympa. Nous trouvons le bazaar de Gilgit un peu sale.

Samedi 22 Juillet : Gilgit - Isalamabad

Nous rencontrons Moueen au petit déjeuner. Il est remonté contre les autres qui ne lui ont pas laissé de matériel de montagne. Nous apprendrons plus tard qu'il c'est fait payer 11000 roupies, ce qui n'est pas mal . Il se débrouille bien le gaillard.

Le bus n'est pas si luxueux que son nom pouvait laisser penser, et nous ne pouvons pas fermer l'œil pendant les 18h de trajet. Des contrôles de police fréquents nous ralentissent.

Je réveille Manu en escaladant le mur de la villa à 5h du matin. La boucle est bouclée. Il ne nous reste plus que quelques jours pour visiter Lahore et ses beaux monuments à la frontière indienne, et Peshawar à la frontière afghane.


A Lahore


A Peshawar



Nous reprenons l'avion heureux d'avoir vécu une belle aventure, et satisfaits de l'avoir façonnée à notre idée.

François, Janvier 2000.
D'après les notes de l'époque.

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P.S.

Juin 2000: première répétition de la voie de 1987 au Golden Pillar et ouverture d'une nouvelle voie !
Extrait de l'article du numéro septembre-octobre 2000 de Vertical Roc : "Terrific Spantik Sept nouveaux protagonistes, dont Manu Pellissier et Manu Guy, ont signé cet été la première répétition du Golden Pillar, la célèbre voie des Anglais ouverte en 1987. Le Spantik compte parmi le gratin himalayen des montagnes les plus aventureuses, les plus techniques, les plus esthétiques. Son histoire, digne des grandes odyssées, s’est enrichie de sept nouveaux protagonistes dont “deux p’tits gars de chez nous”, Manu Pellissier et Manu Guy, qui ont signé cet été la première répétition dans le marbre du célèbre Golden Pillar. (...) "

Message reçu le 8/9/2000: "Je reviens tout juste de la traversée Biafo/Hispar, enchanté comme toujours par le Pakistan. (...) Sachez que le chef du village d'Askole, dont vous faites référence, est décédé il y a 2 ans. J'ai remis une copie de votre site à son fils qui était très ému de voir son père en photo imprimée. Sachez aussi que rien ne change vraiment dans ce pays sauf le tourisme en déclin complet, les commerçants de Karimabad se plaignent beaucoup de la situation politique du pays. Il n' y a toujours pas de guest house à Askole, construction interdite par le mollah du coin. Sinon, les abricots et raisins secs sont toujours aussi succulents, Nagar toujours aussi verte, les montagnes plus puissantes que jamais."

Blank on the map : Bruno Collard est devenu amoureux de la région et a développé depuis 2003 un site de référence sur le Karakoram. Récits de treks par des cols reculés, histoire, vie locale, images satellites : une mine.

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