Par MONTS
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et par VAUX |
Juillet 1989
Comme Manu avait pu goûter aux griseries de l'altitude deux
ans auparavant au sommet du Huascaran au Pérou (6654 m), nous avons envisagé
un moment de nous concentrer sur un beau sommet. J'étais également poussé
dans cette voie par mon ami Bernd qui me parlait de son expédition sur un
7000 m dominant le glacier de Siachem sur la frontière indo - pakistanaise,
la plus haute montagne non gravie à l'époque, avec approche par la route en
bus WW depuis l'Allemagne, et retour par le même itinéraire après un échec.
Les plus récents succès du Pittsburgh Explorers Club sur les pentes du couloir
ouest du Mont McKinley en Alaska, et sur l'Ama Dablam au Népal, incitaient
aussi au dépassement de soi. Néanmoins nous avons choisi un objectif plus
modeste, conscients des dangers de la haute montagne dans le Karakoram, qui
sont aggravés par le temps très changeant et le froid glacial. Et puis je
préférais voir un maximum de pays, plutôt que me battre plusieurs semaines
sur les flancs d'une montagne unique pour une issue incertaine, avec d'improbables
perspectives de revanche ou de compensation. Nous avons donc décidé de partir
pour une randonnée glaciaire, avec du matériel permettant de pousser plus
haut si les conditions s'avéraient favorables, en espérant ainsi augmenter
nos chances de bien en profiter, tout en minimisant les risques.
Plongée dans la littérature alpine
Il nous fallait maintenant choisir notre parcours, et ce n'était pas facile
vu le peu d'informations disponibles sur la région. La littérature de montagne
anglo-saxonne est particulièrement prolixe et précise, notamment les revues
des clubs alpins britannique et américain, publiées depuis 1863 et 1929. J'ai
été étonné de pouvoir trouver ces revues, et d'autres ouvrages de référence,
à la bibliothèque de Pittsburgh qui n'est pourtant pas une capitale de l'alpinisme,
mais c'est une des caractéristiques de ce pays de ne pas lésiner sur les investissements.
Cette abondance ne nous a pourtant pas tellement aidés, car nous avons trouvé
peu d'informations permettant de choisir notre itinéraire parmi les descriptions
des premières ascensions.
Nous avons envisagé un moment de rejoindre le camp de base du K2 en remontant
le glacier du Baltoro. Cet itinéraire offrait la possibilité de voir la plupart
des 8000 m du Pakistan. Par contre il présentait l'inconvénient d'imposer
un retour sur nos pas dont plusieurs récits soulignaient le parcours un peu
fastidieux sur le glacier couvert de débris (je crois qu'à cette époque le
passage par le col du Ghandoro, pour rejoindre Hushe depuis Concordia, n'était
pas connu). J'ai réussi à me procurer par correspondance d'anciennes cartes
du Karakoram dressées par l'armée américaine, peut être dans les années 50.
Elles comportaient de nombreuses zones étiquetées "inconnu" qui
attisaient notre excitation. Comme nous voulions effectuer une traversée ou
une boucle afin de profiter davantage des paysages, nous avons ensuite envisagé
la traversée des glaciers de Biafo et Hispar, en partant de Skardu pour rejoindre
Hunza. La carte montrait que de nombreux 7000 m jalonnent ce parcours, dont
cinq plus de 7700 m : le Kanjut Sar (7757m), le Khinyangchish (7851m), le
Disteghil Sar (7887 m), le Trivor (7733m), et le Rakaposhi (7788 m). Magnifiques
montagnes peu connues car il leur manque les 3 à 4 % d'altitude permettant
d'atteindre les 8000 m fatidiques des praticiens du système métrique.
Quelques temps avant notre départ de Pittsburgh, le photographe alpiniste
Galen Rowell était venu présenter un diaporama montrant de belles images du
Karakoram. Il les ramenait de ses expéditions au K2, aux Latoks, aux tours
de Trango, et de la traversé des glaciers de Siachem, Baltoro, Biafo et Hispar
en ski de rando. Rowell a expliqué ses exploits extraordinaires et son jogging
quotidien qui lui permettait de rester au summum de ses capacités afin de
pouvoir prendre ses magnifiques clichés, malgré des conditions si adverses,
souvent pour le compte du renommé National Geographic ! Il se prenait un peu
au sérieux, et tombait ainsi dans un des travers communs chez ses compatriotes,
et qui ne choque souvent que les européens, plus enclins à la fausse modestie.
J'ai quand même pu approcher notre super héros, en prenant place dans la file
d'attente pour la dédicace de ses livres en vente pour l'occasion. J'ai donc
eu le temps de préparer trois ou quatre questions importantes sachant que
mon temps serait compté. Il y a-t-il des difficultés techniques ? Non, mais
il faut s'encorder. Combien de temps faut-il compter ? 2 à 3 semaines. Faut-il
partir avec des porteurs ? Oui, il faut en recruter sur place. Cet itinéraire
vaut-il le coup d'un point de vue esthétique? C'est magnifique, allez y !
Alea jacta est.
Rassemblement
En parallèle de nos réflexions sur l'objectif, nous avions lancé l'idée auprès
de nos amis respectifs. Manu a réussi à motiver deux membres de son équipe
du Pérou, Luc et Antoine, ainsi que son frère Dominique, alors en deuxième
année d'école d'ingénieur. De mon côté seul Bruno à répondu à l'appel, car
les compères du PVC étaient maintenant engagés dans de plus sérieuses activités.
Notre groupe était donc constitué : nous serions six et la moyenne d'âge allait
frôler les 23 ans, avec moi dans le rôle du doyen vieux de presque 26 ans.
Juin est arrivé, et une fois revenus en France, Manu et moi devions maintenant
chercher un job pour la rentrée et préparer la logistique pour le voyage.
La perspective d'aventure m'a un peu aidé à tourner le dos aux Etats Unis
car il ne m'était pas facile de quitter un endroit et des gens bien sympathiques,
et par cette rupture inhérente au choix, voir clairement se rétrécir l'espace
des possibles. J'ai passé quelques entretiens d'embauches à Paris, Toulouse
et Grenoble, le plus proche possible des montagnes, avec une piste intéressante
à Toulouse (je la suis toujours depuis 10 ans). Mon entraînement s'est limité
à quelques montées au Semnoz en trottinant depuis Viuz-La-Chiesaz, en passant
une ou deux fois en dessous de l'heure pour les 1000 m de dénivellation, au
risque de me faire exploser les poumons. Le tout fut complété par la voie
Kuffner au Mont Maudit avec Bruno, pour "faire un peu de globules",
avec une sortie à 4300m éprouvante sans acclimatation ! A quelques jours d'intervalle
Luc et Antoine se sont mis un peu au taquet dans le couloir Couturier à L'Aiguille
Verte. L'entraînement de Manu et Dom s'est réduit à quelques tennis à Islamabad
où ils nous précédaient.
Dimanche 25 Juin : Paris - Le Caire - Karachi - Lahore - Islamabad
A l'escale de Karachi la chaleur nous prend à la gorge. Nous avons demandé
un visa de 5 semaines, le service d'immigration nous accorde 30 jours et nous
oblige ainsi à faire une démarche de prolongation ultérieure. Un soldat fouille
nos bagages, et met la main sur des cartouches de gaz avec un air interrogateur.
Il les remet en place sans broncher et nous fait vider les piles de nos appareils
photos, pour les mettre en soute. Bienvenue dans un monde différent, qui semble
parfois bien arbitraire ! Mais tout se passera bien, inch allah.
Le chauffeur des parents de Manu vient nous chercher à l'aéroport avec un
Pajero 4x4 climatisé, suivi d'une camionnette pour les bagages : luxe inimaginable
! Nous n'aurons pas à nous entasser dans un des petits hôtels de Rawalpindi
réservés aux voyageurs sans le sou, car les parents de Manu vivent dans une
superbe villa, et ils nous accueillent comme des rois.
Lundi 26 Juin : Islamabad
Récupération active au tennis. Comme le guide pakistanais qui devait nous
rejoindre se désiste, l'office du tourisme (PTDC), contacté par la secrétaire
du père de Manu, nous en trouve un autre : il s'appelle Moueen-Ud-In et viendra
demain de Gilgit. C'est un coup de main très appréciable.
Mardi 27 Juin : Islamabad
Antoine nous rejoint. Nous visitons Islamabad, ville gouvernementale et diplomatique
qui parait agréable, avec ses grandes allées vertes. Nous pressentons que
cette atmosphère un peu aseptisée est bien loin de la réalité pakistanaise.
Nous faisons une petite ballade dans les collines verdoyantes qui dominent
la ville et offrent une belle vue sur l'immense mosquée offerte par des sponsors
du moyen orient. Nous rencontrons Moueen à notre retour. Il me fait bonne
impression. Il parle bien anglais et semble évolué. Il a visité l'Europe.
Mercredi 28 Juin : Islamabad
Il fait déjà chaud à 6h pendant notre footing. Nous retrouvons Moueen dans
le bureau PTDC de Rawalpindi, ville siamoise de la capitale, mais très différente
: nous sommes maintenant dans le Pakistan réel, avec des rues débordantes
de vie et de misère. A PTDC on nous explique que le parcours que nous avons
choisi est parfaitement répertorié, et on nous indique le nombre d'étapes
officielles qui sera déterminant pour le calcul de la paye des porteurs. Le
salaire de Moueen est fixé à 450 Roupies par jour.
Nous faisons quelques courses avec Moueen (cocotte minute, biscuits). Nous
réalisons qu'il manque une tente 3 places oubliée dans la cabine de l'avion
de PIA. Il est apparemment impossible de trouver du matériel de montagne ou
de camping à Pindi !? Moueen téléphone à Gilgit pour faire envoyer 2 tentes
à Skardu, point de départ de notre marche.
Jeudi 29 Juin : Islamabad
Nous changeons des dollars US à l'agence American Express car la banque ne
veut pas de nos travellers checks ( 1 USD = 21 R). Nous retrouvons Moueen
à Rawalpindi pour compléter les courses avec notamment une feuille de PVC
"pour les porteurs" ( 20 x 2 m).
Le vol pour Skardu est annulé, comme la veille. Nous envisageons désormais
un départ par la route, car il y a beaucoup de candidats au voyage, et nous
ne pouvons bénéficier que de "2 priorités par jour" de par nos connaissances
à PTDC. Il faudrait connaître quelqu'un à PIA ou bénéficier d'une priorité
afférente au statut diplomatique !